Elections 2019 - La lettre de Braises aux présidents de parti

Un courrier pour attirer l'attention sur l'importance des choix quant aux politiques liées au vieillissement des personnes

A l'heure des campagnes électorales 2019, le courrier reproduit ci-dessous a été adressé aux président.e.s de parti en vue qu'ils prennent la mesure des enjeux liés au vieillissement aujourd'hui et dans les années toutes proches. Les réponses qui nous parviennent sont également publiées.

 

LA LETTRE ...

  

Le 8 mars 2019

A l’attention des présidents de parti

Madame la Présidente, Monsieur le Président,

Le réseau BRAISES, réseau interuniversitaire et pluridisciplinaire francophone d’expertise en vieillissement, fondé en 2003 par des professeurs d’université soucieux de jouer le rôle d’observateurs et lanceurs d’alerte en matière de vieillissement de la population et des personnes, souhaite attirer l’attention du politique sur nombre de points en matière de vieillissement, en cette période pré-électorale.

En effet, même si l’avancée en âge a focalisé l’attention du politique en ce qui concerne le maintien à l’emploi, voire la prolongation des carrières, même si la question du vieillissement n’est pas totalement absente des programmes des partis, elle est peu mise en avant. Beaucoup d’avancées se trouvent au milieu du gué (assurance autonomie, statut des aidants proches, suivi des maladies chroniques), sans totalement aboutir.

Nous vous sollicitons dès lors pour connaître la position de votre parti sur toute une série de politiques liées au vieillissement. Dans ce courrier, nous adressons les questions, indistinctement du niveau de pouvoir auquel elles se rapportent, pour privilégier une approche programmatique. Ce courrier trouvera également place prochainement sur le site internet du réseau (www.braises.be), ainsi que les réponses, réactions et engagements que vous – et vos collègues d’autres partis – nous communiquerez.

Au cours des dernières décennies, d’un point de vue démographique, la population belge a vieilli. Outre les structures traditionnelles d’hébergement, de nombreuses initiatives de soin à domicile se sont fait jour, pour répondre tant à des objectifs de maintien des coûts qu’à la demande des citoyens ; et les proches ont été reconnus dans leur rôle de soutien. Néanmoins, ces évolutions semblent se faire en ordre dispersé, et de nombreux impensés subsistent.

Tout d’abord en ce qui concerne le logement

Nous pouvons prendre pour exemple le décalage entre l’obligation faite aux institutions d’hébergement de prévoir un projet de vie et une entrée des aînés en institution de plus en plus tardive, laquelle se concrétise par la transformation progressive des places d’hébergement (MRPA) en lits de soin (MRS). En ce qui concerne la question du maintien à domicile – il faudrait plutôt parler de soutien à domicile, pour mettre l’accent sur l’indispensable relationnel de la pratique et sur le libre choix, c’est-à-dire l’autonomie, de la personne –, nous relevons le manque structurel de coordination entre les intervenants de l’aide à domicile ainsi que le manque de liens avec les secteurs résidentiel et de seconde ligne.

Quelle réflexion est entamée concernant la place du privé lucratif dans le secteur du soin ? En effet, on note depuis quelques années l’apparition de groupes cotés en bourse dans le secteur des maisons de repos, dont l’objectif est clairement la fourniture de dividendes à leurs actionnaires. Ces grands groupes rachètent différentes maisons privées et créent des ensembles plus grands, favorisant les économies d’échelle. L’intervention du secteur commercial (plafonnée à 50% en Wallonie) dans le secteur du soin et de la santé est-elle légitime ? Comment assurer que les financements publics et celui des familles concourent à la qualité de l’hébergement et du soin, et non à fournir un revenu à des investisseurs, alors que les contraintes – sur le personnel, les hébergés – sont déjà très fortes ?

Enfin, que développe-t-on en termes de lieux de vie pour à la fois répondre aux besoins des générations de l’après-guerre et pour envisager des parcours moins discontinus ? Que prévoit-on pour laisser la liberté à chacun d’envisager sa fin de vie sans prioriser un parcours (médicalisation progressive du domicile puis maison de repos quand le soutien à domicile n’est plus possible), mais en permettant à chacun de rester en logement individuel ou d’aller en milieu de vie communautaire, et ce à tout âge de la vieillesse ? Quelle possibilité existe qu’un nombre suffisant de lits reste disponible en MRPA pour satisfaire aux attentes de certains, et que des formules innovantes soient encouragées concrètement pour répondre aux souhaits d’autres ?

 

Ensuite en ce qui concerne le soin

Des questions spécifiques (mais nécessaires pour d’autres populations également) se posent, concernant la mise en place d’un système d’information sanitaire (tel que, par exemple, prévu dans le décret wallon de promotion de la santé), seul à même de permettre une cartographie des besoins, couverts et non couverts, de l’offre, des disparités géographiques ou populationnelles. Qu’en est-il de la mise en œuvre d’une culture de l’évaluation, indispensable à une amélioration de l’offre de services ?

Qu’en est-il également de l’évolution des professions du secteur et de l’apparition de besoins en formations concomitante, ou de la nécessité d’autres professions et fonctions, telles que des coordinateurs de soin, des case managers ? Comment préserver la spécificité des professions adaptées aux pathologies relatives au grand âge, tout en évitant le cloisonnement des aînés dans des catégories trop exclusives, les reléguant au statut de populations dont il faut gérer la pathologie et soulager le patient, là où pour d’autres populations on soigne le patient, que l’on rend autonome ?

Comment préserver l’autonomie – entendue comme la liberté et la capacité à poser des choix – de la personne âgée, tant dans l’institution qu’au domicile ; comment préserver aussi son intégration dans la société (et non uniquement comme objet de soin, qu’il s’agisse de soigner – le cure – ou de prendre soin – le care) ? Comment donc lutter contre l’isolement et, plus encore, la solitude ?

Et enfin, comment envisager la prévention et les soins en santé mentale pour cet âge de la vie ? Un récent rapport du KCE propose d’inclure les soins psychiques aux personnes âgées au sein de la psychiatrie de l’adulte plus jeune. Certains aspects de la prise en charge sont cependant spécifiques comme les Français et Suisses l’attestent en organisant un enseignement universitaire et des réseaux de soin adaptés. Sur le terrain, les structures actuelles ne préparent pas et les soignants ne sont pas formés à l’approche psycho-gériatrique (hôpitaux de jour, maisons de soin psychiatriques, habitations protégées et équipes mobiles fermant leurs portes aux plus de 65 ans). Il est donc urgent en Belgique de promouvoir ces formations, de sensibiliser les pouvoirs organisateurs pour mettre en place ces spécialisations à différents niveaux : médecins généralistes et spécialistes, psychologues, nursing, aides-soignants… Il est de plus indispensable de créer une compétence spécifique en psychiatrie de la personne âgée.

Par ailleurs, quelle alternative aux lits T “long séjour” pour les personnes en souffrance psychique et en perte d’autonomie ? Actuellement ce sont les maisons de repos qui assument mais sont en grande difficulté et n’ont pas de moyens spécifiques à leur disposition. Des initiatives comme les protocoles 3 existent mais devraient déboucher sur des décisions structurelles pour faire face aux besoins grandissants.

 

Et pour le soutien aux proches…

Qu’en est-il de la mise en œuvre de l’assurance autonomie, de la reconnaissance (financière) des aidants proches après celle de leur statut, de la création de case managers permettant la défragmentation des services et de la prise en compte de chaque patient dans sa globalité, en collaboration avec les familles ?

Comment assurer un soutien aux proches qui permette de leur éviter d’être dans des conditions telles qu’elles sont susceptibles de les mener à poser des actes de maltraitance ? Comment également assurer la pérennité des services de lutte contre la maltraitance des personnes âgées ? Enfin, comment assurer la pérennité du financement de ces mesures ?

C’est sur toutes ces priorités que nous souhaitons vous alerter, et c’est également à ces questions que nous aimerions obtenir des réponses, pour que le secteur des personnes âgées ne soit pas le parent pauvre des programmes de parti, et ensuite de la future déclaration de politique générale. Nous restons disponibles pour échanger sur ces sujets.

 

Avec l’expression de notre considération distinguée,

Pour Braises, Réseau interuniversitaire francophone d’expertises en vieillissement,

Laurent Nisen (ULiège), président - Stéphane Adam (UPsySen, ULiège) - Nicolas Berg (Respect Seniors et CHR de la Citadelle, Liège) - Catherine Bert (HE Vinci) - Sylvie Carbonnelle (CDCS asbl et ULB) - Ingrid Dropsy (Grand Hôpital de Charleroi) - Anne Myslinski (ISoSL, Hôpital Pèrî) - Anne Peeters (Grand Hôpital de Charleroi) - Natalie Rigaux (UNamur) - Bernadette Sprimont (Clinique de l’Europe, Bruxelles) - Damien Vanneste (Université catholique de Lille et UCLouvain) - Nathalie de Wouters (ReSanté-Vous)